On se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. ... Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie.

— Paul Halter, À 139 pas de la mort

jeudi 30 juin 2011

À 139 pas de la mort — Paul Halter (1994)

C’est en septembre 1994 que paraît « À 139 pas de la mort ». Il s’agit - si l’on considère  « La Malédiction de Barberousse » comme le premier volume de la série -  du douzième roman mettant en scène l’inspecteur Archibald Hurst et le docteur Alan Twist, et l’on y trouve, comme d’habitude, un crime impossible.

L’histoire commence avec un jeune juriste, Nevile Richardson, en quête d’aventures. Alors même qu’il vient d’exprimer son désir de vivre quelque chose d’excitant, il aperçoit une jeune femme qui semble effrayée. Comme un homme la suit, Neville les prend en filature à son tour, et est témoin d’une conversation entre la femme et l’homme, qui parle d’une voix cassée.  Après le départ de l’homme, Nevile s’assoit à côté de la jeune femme qui le prenant pour quelqu’un d’autre commence à lui parler d’un rendez-vous pour le 16 à 21 heures. Elle est sur le point d’en  préciser le lieu quand elle se rend compte de son erreur; elle n’achève pas sa phrase et demande Nevile de tout oublier. Il n’en fait rien, et tente de déterminer le lieu du rendez-vous en s’appuyant sur les paroles et les actes énigmatiques de la jeune femme…

De leur côté, le docteur Twist et l’inspecteur Hurst reçoivent  la visité d’un nommé John Paxton., qui leur raconte une histoire digne de Conan Doyle ( « La Ligue des Rouquins » en particulier). On le paye pour livrer une lettre à une certaine adresse et en rapporter une autre, en empruntant un chemin particulièrement détourné, dans des vêtements fournis par le commanditaire. Comble de l’étrange, Paxton ayant ouvert les enveloppes n’y a trouvé que du papier blanc !

Une autre personne fait état d’une expérience similaire, et Nevile Richardson vient consulter les détectives au sujet du mystérieux rendez-vous. Le docteur Twist apporte finalement une réponse, et Nevile se rend au lieu du rendez-vous… pour y trouver John Paxton, assassiné… dans une pièce remplie de chaussures!

Il ne s’agit pas là du crime impossible, mais je n’en dirai pas davantage afin de ne pas déflorer l’intrigue. Quelques mots cependant sur les caractéristiques de ce crime impossible, qui pose deux problèmes en un. Le premier étant de savoir comment quelqu’un a pu entrer dans une maison complètement fermée de l’intérieur et en sortir, en laissant la clef dans la serrure de la porte d’entrée. Le deuxième étant la manière dont  l’assassin n’a laissé aucune trace sur le plancher qui n’a pas été balayé depuis cinq ans.
Quelque chose qui nous manque sur les lieux du crime…

J’avoue que j’ai beaucoup aimé la situation impossible. Le truc de la chambre close est bien trouvé — une variation astucieuse sur une vielle solution. J’ai apprécié également l’explication du problème du plancher. La solution est ingénieuse et l’indice majeur, bien en évidence.

Il y a malheureusement un hic : les indices donnés au lecteur ne sont pas suffisants pour conclure que l’assassin est bien X plutôt que Y. La solution apportée par le Dr. Twist est persuasive, mais je me suis demandé après coup : « Comment a-t-il pensé à cela ? » Le Grand Détective ferme les yeux, hoche la tête plusieurs fois, s’exclame « Eureka! » et dit au pauvre inspecteur d’arrêter le suspect le plus improbable.

Mais c’est un problème qui ne me dérange pas trop, car Halter nous donne en revanche tous les indices permettant de répondre au « comment », question en l’occurrence beaucoup plus intéressante que le « qui », et la solution est tout à fait acceptable de ce point de vue.

La lecture est assez rapide et passionnante — je ne pouvais pas m’arrêter de lire! Mais on discerne aussi les limites du « style Halter ». Ses personnages sont assez falots, travers qu’il partage avec John Dickson Carr. Mais ce n’est pas tout : je trouve que les personnages semblent plus français qu’anglais. Ils ne sont anglais que de nom (et encore, pas toujours). Je pense que M. Halter est un vrai anglophile— on trouve par exemple plusieurs passages vraiment intéressants sur l’histoire anglaise. Mais il n’arrive pas à saisir la psyché anglaise.

L’atmosphère du livre est excellente, mais pas aussi effrayante qu’elle aurait pu l’être. Halter prend une direction différente, et le résultat est intéressant— le livre est en quelque sorte une fantasmagorie. Les évènements ne cessaient  jamais de m’intriguer : on y trouve des rendez-vous mystérieux, un fantôme qui gémit de son tombeau, un homme mort qui profite encore de sa maison, et même une gouttière volée! (Il ne manque que des pirates et des plans pour une nouvelle bombe atomique.) Le ton est donné d’emblée. « Vous voulez des aventures? » « Eh bien, vous les aurez! »

Dans le 42ième chapitre, Halter offre une digression sur les romans d’énigmes. J’ai trouvé le discours fascinant, et je partage les sentiments du docteur Twist quand il évoque le triste état actuel du roman d’énigme. La partie consacrée aux chambres closes est intéressante, mais un peu trop brève— le docteur Twist offre quelques exemples et c’est tout. J’aurais aimé en savoir plus sur les idées de Twist en matière de crimes impossibles, car il est évident que le personnage  partage les opinions de son créateur. L’idée d’une causerie à l’intérieur du roman n’est pas nouvelle. On peut en trouver de bons exemples dans Miracles à vendre (Death from a Top Hat) de Clayton Rawson, Neuf fois neuf (Nine Times Nine) d’Anthony Boucher, et  dans Trois Cercueils se refermeront (The Three Coffins) de John Dickson Carr (la meilleure à mon avis).

J’aime beaucoup l’attitude de M. Halter envers le roman policier; il n’hésite pas à défendre les grands maîtres du passé, comme John Dickson Carr. A une époque où  le genre « noir » domine le marché, c’est un vrai plaisir de rencontrer un auteur qui suit les traditions de « l’Age d’Or » et le revendique. Je tiens dans l’ensemble l’œuvre de M. Halter en très haute estime : son imaginaire  est fascinant et ses crimes impossibles sont aussi intrigants que ceux de son idole John Dickson Carr. Ses intrigues sont haletantes et je les suis toujours avec intérêt. Carr sera toujours mon auteur favori, mais Halter est son digne successeur.

jeudi 23 juin 2011

La fiancée du pendu (The Bride of Newgate) — John Dickson Carr (1950)

Le début de La fiancée du pendu (The Bride of Newgate) est stupéfiant. Dick Darwent est dans une cellule sombre à Newgate : il sera pendu le lendemain matin. Au même moment, Lady Caroline Ross parle avec son avocat, Elias Crockit, et Sir John Buckstone. D’après le testament de son grand-père, Caroline doit se marier avant son 25ième anniversaire, faute de quoi elle sera déshéritée. La jeune femme trouve l’idée du mariage répugnante, et ne décolère pas contre son parent décédé :

- Vous souvenez-vous, dit Caroline d’un ton rêveur, d’une phrase bien précise de ce testament? »
- Je l’ai oublié. »
- Pas moi. « C’est une pouliche têtue qui mérite le fouet ». Eh bien, nous allons voir!

Caroline voit Dick Darwent comme l’évasion parfaite—elle l’épousera, héritera, puis assistera à l’exécution de son « mari », un verre de champagne à la main. Dick quant à lui n’a rien à perdre, et il gagnera 50 livres, qu’il laissera à sa petite amie, Dolly.

Ainsi débute La Fiancée du pendu, l’un des meilleurs livres de John Dickson Carr. La scène d’ouverture capte immédiatement l’intérêt du lecteur. L’intrigue, haletante, est une succession de coups de théâtre et de rebondissements. Carr parvient même à introduire une forme de crime impossible : la défense de Dick Darwent, accusé de meurtre, repose sur une chambre qui a disparu…

La solution du problème est satisfaisante : l’idée d’ensemble est assez évidente, mais les détails le sont beaucoup moins et l’explication finale est à la hauteur des attentes. De plus, l’identité du criminel est une vraie surprise. (Je n’en dirai pas plus, contrairement à la personne qui a signé la couverture de l’édition Four Press de Swan Song d’Edmund Crispin.)

Il y a beaucoup de couleur historique dans La Fiancée du pendu — beaucoup plus que dans The Ghosts’ High Noon. L’aventure avec un grand A traverse tout le livre; le danger aussi : le livre est parfois extrêmement sombre.

Les personnages sont étonnamment réussis. Le Révérend Horace Cotton, chapelain de Newgate, est l’un des personnages les plus fascinants de l’œuvre de Carr. Il semble avoir réellement existé, et il s’agit à mon avis du meilleur personnage d’ecclésiastique que Carr ait jamais crée. Les prêtres et les psychiatres sont souvent objets de moquerie chez Carr – ainsi de l’évêque détective amateur du Huit d’Epées (The Eight of Swords), qui glisse le long d’une rampe d’escalier. Cotton est tout à fait différent. Quand au début du livre, le diabolique Sir John Buckstone frappe Dick Darwent, qui est enchaîné, Cotton s’interpose, s’élevant contre l’injustice qui permet de telles choses :

- Monsieur, dit tranquillement l’ecclésiastique, vous remarquerez que je n’ai rien d’un gringalet non plus. (Puis il changea de ton.) Levez la main une fois de plus et je jure devant Dieu que je vous fais valser à travers Newgate avec votre cravache.

Carr avait une vision romantique du passé, mais n’était pas moins conscient de sa part d’ombre. Il enchaîne avec une discussion entre le révérend et Dick Darwent – ce dernier agnostique comme son créateur – au sujet de la foi. Dick, impressionné par le comportement héroïque du prêtre, déclare qu’il croit à présent en Dieu, car si un homme comme Cotton a la foi, il serait lui bien fou de rester un mécréant. Le prêtre ne s’empresse pas de lui demander son obole; il répond au contraire que la « foi » nouvelle de Dick n’est en fait que de la gratitude mal placée. Que Carr ait pu créer un tel personnage est surprenant, et réduit à néant l’antienne selon laquelle Carr n’était pas doué pour la caractérisation; il l’était – mais préférait se concentrer sur l’intrigue.

J’ai une seule plainte concernant le livre, et c’est le comportement de Mr. Mulberry, qui fait une déduction à la 37ième page mais n’en livre le résultat qu’à la page 102. Mais honnêtement, ce n’est pas important et vous pouvez ignorer mon pinaillage; si Mr. Mulberry ne se comportait pas de cette façon, il n’y aurait pas d’intrigue… Une fois tout expliqué, les actions de Mulberry deviennent non seulement claires, mais justifiées. Je me suis rappelé d’un fragment du livre de Helen McCloy, Dance of Death :

Jusqu’à présent, il était soutenu par une curiosité intellectuelle. Le mystère semblait plus important que le meurtre. Il l’avait abordé comme un problème d’échecs ou de mathématiques.
Mais maintenant que ce n’était plus un mystère, il réalisait qu’il ne s’agissait pas des simples pions d’un jeu d’esprit, ou d’un problème abstrait n’existant que dans l’esprit d’un mathématicien. Il était question d’êtres humains comme lui, avec des espoirs et des passions, capables de penser et de souffrir…

Voilà qui pourrait servir de défense à Mulberry…

La Fiancée du pendu est le meilleur livre de John Dickson Carr que j’ai lu depuis À chacun sa peur (Fear is the Same). Les deux livres comptent parmi les meilleurs que j’aie lus en 2011.

mardi 21 juin 2011

Bienvenue!

Bonjour et bienvenue « Sur les lieux du crime »! Ici, comme sur mon blog anglais, je parlerai de ma grande passion : les romans policiers, surtout ceux qui suivent les règles du jeu. Je suis d' accord avec ce passage d'À 139 pas de la mort de Paul Halter, ou son détective favori, le Dr. Twist, s'exclame :

Eh oui, que voulez-vous, de nos jours, c’est l’anatomie féminine qui fait recette en littérature! Mieux : on se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. Bref, on veut refaire le monde. Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie. On invente des dragons pour jouer les saint George, on s’incline respectueusement devant des iconoclastes notoires en les baptisant « artistes ».

Ce discours résume parfaitement mon point de vue et sera donc la « devise » de ce blog. J’adore le jeu, recueillir les indices avec le détective et essayer de trouver la solution avant lui. Le duel entre l'auteur et le lecteur est ce qui fait tout le charme du genre. Vous aurez compris que je ne raffole pas vraiment des romans « réalistes », « noirs » et « psychologiques »

Ma préférence va aux romans policiers de « L’Age D’or » du roman d'énigme, mais il sera question des autres également, surtout s'ils perpétuent la tradition: vieux, récents, anglais, français, japonais…

Je tiens à remercier Xavier Lechard, qui me sert de correcteur pour ce blog. Je vous recommande son blog « At the Villa Rose », bilingue et écrit avec beaucoup d’érudition!

Bien sûr, je continuerai mon blog anglais, « At the Scene of the Crime », mais ce blog hebdomadaire est pour les francophones, afin de parler de littérature policière dans la langue de Paul Halter.

À bientôt!

Patrick